Wentiiostha Nelson

Pour arriver là où elle se trouve, elle a dû remettre en question tout ce qu’elle avait connu en grandissant et apprendre, non sans embûches, les notions les plus importantes qui font d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui.

Elle a grandi sur la réserve et marchait fièrement comme si son degré de sang et son clan la rendaient supérieure aux autres. Influencée par sa culture et sa communauté, elle avait appris à regarder de haut les personnes métisses ou sans clan, parce que cela signifiait qu’ils étaient « moins mohawks ». Elle-même étant issue de deux parents entièrement mohawks, elle faisait bien entendu partie de l’élite mohawk. Elle n’avait pas été élevée selon les enseignements traditionnels de la maison longue de son peuple. On lui avait plutôt inculqué que c’était un repaire de sorciers qui pouvaient lui jeter un mauvais sort et que la seule religion admissible était l’Église. Elle ne voyait pas le mal qu’elle infligeait aux autres puisque sa communauté aussi, en grande partie, agissait de la même façon. C’était normal pour elle : ainsi avait-elle été forgée. Jusqu’au jour où, dans sa vingtaine, elle tomba amoureuse d’une personne issue de la maison longue, et tout ce qu’elle pensait savoir se trouva transformé d’une façon qu’elle n’aurait jamais pu anticiper.

Au début, elle hésitait à participer aux cérémonies de la maison longue. Elle craignait de découvrir que les personnes qui s’y rassemblaient étaient de vrais sorciers. Et si c’était faux, elle craignait qu’on ne l’accepte pas, qu’on découvre qu’elle n’était pas des leurs. Elle se sentait ainsi, comme si elle n’était pas à sa place. Elle n’avait jamais reçu les enseignements des cérémonies traditionnelles et ne savait pas comment se comporter dans ce lieu. Elle avait la certitude qu’on l’expulserait de la maison longue en claquant la porte derrière elle. Surtout lorsqu’elle apprit qu’elle ne serait pas assise avec son copain. Les hommes et les femmes étaient séparés et divisés par clan. Elle était terriblement gênée et pensait qu’elle aurait une crise d’angoisse juste en passant la porte.

Après avoir participé à la première cérémonie, elle sut que toutes ses craintes avaient été vaines. Les femmes de la maison longue étaient vraiment accueillantes et bienveillantes. Elles comprenaient son manque de connaissances et répondaient à toutes ses questions. Évidemment, aucune pratique de la sorcellerie n’avait lieu !

Pour elle, la difficulté était que les cérémonies se déroulaient entièrement en kanien’ke:ha, et, même si elle avait grandi avec des parents et une famille parlant couramment la langue, on ne la lui avait jamais apprise, ni à elle ni à bien d’autres de sa génération. La langue était utilisée par les parents et grands-parents pour parler de certains enjeux sans que les enfants puissent comprendre. 

Ainsi, elle faisait partie des « silent speakers », ces personnes qui ont grandi en entendant la langue et qui connaissent certains mots, mais qui sont loin de la parler couramment. C’était une honte qu’elle portait et elle espérait que personne ne s’en rendrait compte dans la maison longue.

Assister aux cérémonies de la maison longue la transformait. Même si elle ne comprenait pas tous les discours, elle se sentait interpellée par les chansons, les danses et toute l’énergie qui se dégageait dans la maison longue. Après quelques années, elle se rendit compte qu’elle commençait à comprendre les discours et les conversations autour d’elle, davantage qu’à sa première fois. Elle commençait à saisir la beauté et la fluidité de sa langue, et cela l’incita à faire les premiers pas dans l’apprentissage de la langue pour pouvoir la parler.

Elle s’inscrivit à autant de cours de langue que possible, et ce faisant elle comprit de plus en plus les répercussions des pensionnats autochtones et le traumatisme générationnel qui en avait résulté. Elle apprit comment la Loi sur les Indiens avait été créée de manière à coloniser les peuples autochtones du pays.

La Loi sur les Indiens diabolisait les traditions autochtones afin d’assimiler les peuples dans la société coloniale dominante. Dans le texte législatif, il était écrit que pratiquer des cérémonies traditionnelles était illégal et que les personnes prises en défaut risquaient d’être arrêtées. Grâce à plusieurs braves ancêtres, les cérémonies ont continué d’avoir lieu, mais en secret pour éviter la prison. C’est là qu’elle comprit d’où venait la croyance selon laquelle les cérémonies traditionnelles relevaient de la sorcellerie. Parce que le gouvernement les avait déclarées illégales et qu’il avait mis l’Église à contribution dans l’effort d’assimilation de son peuple, elle comprenait que les Autochtones essentiellement colonisés en étaient venus à percevoir les pratiques traditionnelles comme de la sorcellerie.

Ses parents n’avaient pas connu les pensionnats autochtones comme certains des aînés de la communauté ; elle apprit donc les horreurs des pensionnats en lisant des récits sur Internet. Sa mère avait fréquenté l’externat indien, mais n’avait jamais parlé de ce temps-là et de ce qu’elle y avait vécu jusqu’à récemment. Elle découvrait les punitions visant à provoquer de la honte, les châtiments corporels administrés à sa mère pour avoir parlé sa langue, et les autres horreurs. C’est en apprenant cette histoire qu’elle comprit pourquoi elle et ceux de sa génération étaient des silent speakers. Leurs parents étaient traumatisés par leurs expériences : soit ils ne voulaient pas que leurs enfants vivent cette douleur, soit ils étaient trop brisés pour avoir la confiance de transmettre la langue à la génération suivante.

Elle continua d’assister à toutes les cérémonies traditionnelles et à en apprendre le plus possible sur sa culture et ses traditions. Elle continua aussi ses recherches sur les actions horribles du gouvernement et sur la Loi sur les Indiens. Plus elle en apprenait à cet égard, plus elle découvrait que les comportements qu’elle considérait « normaux » étaient en réalité enracinés dans le traumatisme générationnel. Son incapacité à parler sa langue venait de ses parents, qui avaient été punis et humiliés quand ils parlaient leur langue à l’école. La valeur qu’elle accordait à son degré de sang provenait en réalité d’enseignements profondément enracinés dans la Loi sur les Indiens. Cette dernière établissait le pourcentage sanguin servant à déterminer si vous étiez autochtone, ce que les façons de faire ancestrales n’avaient jamais établi.

Elle commença à voir que la fierté qu’elle ressentait de vivre sur la réserve était en fait le résultat d’une colonisation réussie. Nous avions été forcés de vivre sur un petit territoire délimité et on nous avait offert certains avantages si nous restions à l’intérieur. La Loi sur les Indiens avait fait en sorte que, si nous quittions la réserve pour entreprendre des études supérieures, nous étions alors privés de notre identité onkwehonwe et des droits et avantages garantis par la Loi sur les Indiens. Cet article a depuis été révoqué, mais seulement après un lavage de cerveau pour que nous adoptions cette philosophie dans notre façon d’être. Et parce que les gouvernants se sont assurés de notre dépendance à ces avantages, nous avons commencé à les accepter, à nous convaincre de notre confort et à défendre ces « droits ». Les croyances traditionnelles lui firent enfin voir cette situation telle qu’elle était : du colonialisme. Peu à peu, elle se délesta de sa dépendance à ces « droits » parce qu’elle savait désormais que notre peuple était formé d’agriculteurs performants et que notre propre système de gouvernance était établi bien avant l’arrivée des colons sur nos terres. Elle ne participait plus aux violences latérales envers les personnes de sa propre communauté qui quittaient la réserve pour « faire mieux que nous ».

Elle commença à voir comment la violence latérale se propageait dans sa communauté et se distancia de ces comportements. À la place, elle choisit d’avancer avec kahnikonhriio, une attitude bienveillante. Cela devint plus facile à mesure qu’elle en apprenait sur sa culture et son histoire à l’extérieur de la Loi sur les Indiens. Jour après jour, elle choisissait d’être une meilleure personne. D’être bienveillante et de donner la force aux gens de se reconnecter à leurs racines. De ne plus s’impliquer dans des conversations hargneuses où on rabaisse les gens désireux d’apprendre leur langue et de retrouver leur culture.

Elle faisait tout cela d’abord parce qu’elle avait tissé des liens avec sa langue et sa culture qui avaient mis en lumière une nouvelle façon de penser et de vivre. Mais elle le faisait aussi parce qu’elle voulait faire partie de la solution afin que sa communauté soit un milieu favorable offrant du soutien, de l’encouragement, un endroit sécuritaire exempt de jugement envers les personnes qui aspirent à être plus que le résultat du colonialisme. Elle souhaitait également véhiculer le message selon lequel n’importe qui peut y arriver, peu importe son degré de sang ou son lieu de résidence.

Chaque jour qui nous est donné est un jour pour choisir notre avenir et notre influence sur notre entourage. Nous pouvons choisir d’emprunter des chemins plus faciles et déjà tracés depuis longtemps parce que tant de personnes avant nous l’ont fait. Ou nous pouvons être comme elle et décider que chaque jour sera meilleur et plus éclairé que le précédent. Choisir d’utiliser la bienveillance latérale au lieu de la violence latérale. Choisir d’apprendre sa propre histoire, sa propre culture, sa propre langue. Choisir de partager ses connaissances avec tout le monde et de transmettre la passion d’apprendre à la personne suivante.

Si on me donne le choix… je choisis d’être comme elle.