Marie-Andrée Gill & David Gill
Daniel Grenier : Merci d’avoir accepté l’invitation ! C’est David, au départ, qui m’a suggéré cette rencontre après notre conversation au téléphone, et ça me fait penser que ce n’est pas une entrevue, mais plutôt une discussion entre vous deux, deux personnes qui se connaissent personnellement et qui ont des intérêts hyper divergents mais qui se recoupent nécessairement un peu, comme tu le disais, David, quand tu proposais des sujets de conversation. Et ça, tu n’avais pas de misère à en trouver ; ça sortait tout seul ! Ce que j’ai remarqué en vous parlant à tous les deux, par contraste, c’est la différence d’approches et de réactions face à l’exercice même. Quand je parle à David, c’est lui qui se met à me proposer des affaires : on pourrait faire ça et ça, ça pourrait être intéressant. De ton côté, Marie-Andrée, c’est pas que je te sens réticente, mais j’ai tout de suite perçu une certaine hésitation par rapport à la thématique. Tu vois ce que je veux dire ? Par rapport au concept de cet ouvrage et à la notion de leadership. Comme si l’artiste n’avait pas les mêmes devoirs que les autres personnalités publiques – pas par comparaison avec l’athlète en particulier, mais, disons, avec ce que tu es devenu, David, par la force des choses, après ta carrière.
Marie-Andrée : C’est sûr que ça dépend des gens, pas nécessairement de l’appartenance au monde des arts ou des sports. Ceux qui sont dans le milieu artistique ont une sorte de désir d’être des leaders pis de représenter des groupes donnés, mais souvent on ne le choisit pas, ça. Y’a un concours de circonstances qui fait qu’on devient porte-parole de quelque chose sans l’avoir demandé à personne. C’est comme un autre genre de leadership ; moi, je pensais pas que c’était ça, le leadership, en fait. Je pensais que c’était quelqu’un de crinqué qui allait au-devant du monde pis qui disait ce qu’il avait à dire, mais finalement ce sont les autres qui viennent te voir pour te demander des choses. C’est pas moi qui m’impose : c’est le monde qui vient me chercher. C’est juste ça, pis ça me surprend.
En tout cas, moi je sais que y’en a, d’autres auteur·trices autochtones, qui sentent beaucoup de pression de la part des communautés, qui demandent à être représentées. Souvent je sens ça aussi. Par exemple, j’ai pas nécessairement une opinion arrêtée sur un sujet, mais on veut que je dise de quoi. Quant à moi, des fois, faut laisser du silence pis c’est correct. C’est comme si nos communautés attendaient de nous qu’on soit de bons modèles, positifs – peut-être pas parfaits, mais qui s’en iront pas du côté obscur en consommant ou des choses comme ça. Comme s’il fallait être ce que les gens veulent qu’on soit dans l’espace public, peut-être. Des modèles négatifs, c’est pas de ça que les nations ont besoin. C’est pas le trash qu’on va rechercher ; ça prend de la lumière aussi. Qu’est-ce que t’en penses, David ?
David : Je trouve ça intéressant. J’ai tendance à tout le temps parler, mais là j’écoute et je trouve ça le fun. Je pensais pas que toi, comme artiste, tu sentais cette pression-là de rester du côté non obscur, mettons. Moi, c’est un peu une évidence parce que je suis dans le domaine des saines habitudes de vie, faque ces attentes-là je les ai toujours senties et j’en ai toujours ri un peu. Je crois beaucoup en l’équilibre. J’ai fait du sport de haut niveau, mais je crois pas nécessairement que le haut niveau est la réponse. Le haut niveau est là pour ceux qui trippent à faire ça, et ça peut être inspirant et pertinent pour les gens qui trippent vraiment dans le dépassement, quelque chose qui est un peu maladif en soi. Mais la vraie pertinence, c’est justement quand on réussit à utiliser ça pour améliorer la santé en général. J’ai toujours pensé que l’équilibre était vraiment important : par exemple, j’ai pas de problèmes avec la boisson, la modération, la drogue… Un paquet de choses, bref. Alors on me donne – même si je pense que c’est un peu moins pire maintenant – un genre d’aura de santé qui peut rendre le monde mal à l’aise.
Marie-Andrée : Faut aussi penser que, souvent, dans l’espace médiatique, on devient un cliché. Les gens te voient juste quand tu donnes des ateliers de course, par exemple. Ils connaissent aucune autre sphère de ta vie, ils te voient juste quand tu parles de ça. On devient vite le stéréotype et le cliché des autres. C’est normal. Moi, j’écris beaucoup sur la nature, un genre de poésie un peu lyrique, pis ceux qui me connaissent pas ont l’impression que je suis full de même, que je me roule dans les feuilles pis dans les fleurs, mais tellement pas. [Rires.]
Daniel : Chacun de votre côté, dans vos expertises respectives, y’a un désir – pis c’est là que vous vous ressemblez – d’aller rejoindre le plus grand nombre. Est-ce que ça se fait, par contre, démocratiser la poésie de la même façon qu’on peut démocratiser le sport ? Parce que la poésie, c’est quand même quelque chose d’un peu « niché », jusqu’à un certain point. À la limite, je pourrais te demander, Marie-Andrée : pourquoi t’écris pas du roman à la place ? Pourquoi t’écris pas des récits vraiment plus simples ? Parce que ta poésie reste accessible, au demeurant, mais ça peut avoir l’air compliqué pour le commun des mortels. Est-ce que ça se fait, démocratiser à ce point-là ?
Marie-Andrée : C’est compliqué cette affaire-là. Par exemple, mon père est pas capable de me lire, à part quand je lis sur scène pis qu’y’a comme de quoi de plus que le texte. Sinon, j’ai l’impression que c’est pas si accessible que ça, prendre un livre pis plonger là-dedans. C’est pour ça que je fais pas juste écrire des recueils de poésie ; je fais plein d’autres affaires. Moi, je me donne comme défi de rester accessible, pis je veux parler comme je parle pis pas être gênée de ça. Je sais que c’est ça qui est vrai pour moi pis je veux pas être quelqu’un d’autre. Je veux pas plaire à une gang d’universitaires, je veux pas plaire à des gens qui passent à la télé. C’est pas à eux que je veux plaire. Je veux représenter des personnes qui sont importantes pour moi. Souvent, dans ces milieux-là, y’a beaucoup d’ego : on veut être aimé, on veut plaire. Pis c’est correct, c’est humain d’être comme ça. Sauf que, si c’est ça ta motivation première, tsé, t’es à côté de la plaque un peu.
David : Ça me ramène au premier point que t’as soulevé, Daniel, à ce qui fait un leader. T’as un peu deux manières d’être un leader. Tu peux essayer de le devenir par toi-même, pis dans ce cas-là, veux veux pas, tu vas devoir essayer de plaire, tu vas devoir changer la personne que t’es pour te faire aimer du maximum de personnes possible. À l’inverse, tu peux aussi devenir un leader parce que les gens font de toi un leader, pis ça, habituellement, ça va passer par l’authenticité. Marie-Andrée, c’est un exemple extrême de ça, pis je dirais même que, quand je t’écoute à la radio, Marie-Andrée, ça m’inspire à toujours pousser dans cette direction-là. À ne pas faire de compromis sur qui je suis, moi, parce que dans le fond je me dis que tu peux être un modèle en étant pas parfait. Tu peux être un modèle en étant toi-même. Pis moi ça fait longtemps que je suis dans le milieu public – j’avais une compagnie à dix-huit ans –, mais j’ai pas été aussi authentique que toi. Parce que toi t’as été connue pis t’es devenue une leader à un moment où t’étais bien plus mature, faque t’étais déjà un peu plus toi. Moi, non. Je pense que je suis devenu plus authentique parce que j’ai pris de la maturité pis j’ai appris, en regardant pis en écoutant du monde comme toi, que c’était cool d’être juste moi, pis de pas changer ma façon de parler ou ce que je pense, même si des fois ça peut déplaire. Mais j’ai pas tout le temps été comme ça. Dans le sport, y’avait les commanditaires qui étaient importants : tu veux pouvoir payer tes compétitions, faut qu’il y ait quelqu’un pour payer tes factures, pis cette personne-là va payer tes factures si tu lui plais.
Marie-Andrée : Faut que tu sois parfait pour ton commanditaire. Si jamais tu dis quelque chose qu’il faut pas
dire, il voudra plus te financer, tsé. C’est une autre game, complètement.
David : La game médiatique, c’est que ton commanditaire va te donner de l’argent si ta face est dans le journal. Si ta face est dans le journal, tu vas faire parler de toi. Pis ça, ça se fait pas tout seul. Ben, ça peut se faire tout seul si t’es vraiment, vraiment bon. Mais moi, c’était pas ça. Moi, c’était une game dans laquelle fallait que je sois actif. Veux veux pas, y’a un peu de fake qui vient s’insérer là-dedans.
Marie-Andrée : Oui, quand tu rentres dans la roue d’avoir besoin des autres pour pouvoir payer ton rêve, ça finit par coûter cher. Tu rentres là-dedans, pis tout ça, la démarche, la dynamique capitaliste fait que, pour avoir de l’argent, faut qu’on plaise, pis après on va avoir ce qu’on veut, on va avoir notre récompense. On embarque là-dedans pis ça nous enlève quasiment une partie de notre âme parce que faut vendre, faut se vendre soi-même. Pis ça, moi, j’ai fait le choix conscient, très tôt, que je vendrais rien. Y’a personne qui me finance parce que je veux pas être soumise à ça, je veux être libre de dire pis de penser ce que je veux. Assez tôt dans ma vie, je me suis renseignée sur toutes les dynamiques du capitalisme, du patriarcat, du colonialisme, pis j’ai compris c’était quoi pis j’ai pas voulu m’embarquer là-dedans, quitte à pas avoir une cenne, au pire, mais au moins je garderais une liberté de pensée pis une liberté de parole absolues, tout le temps. Pis je suis pas quelqu’un qui va la prendre à fond, cette liberté de parole là, pis qui va révolutionner la patente pis parler fort ; c’est pas nécessairement comme ça que je le sens. Je me trouve vraiment chanceuse d’avoir accès à ça, quand même. Je pense que y’a pas beaucoup de gens qui ont accès à une liberté comme ça parce que souvent on a un employeur pis faut se soumettre à notre employeur. Ou des commanditaires… Faut se soumettre à ça ou à toutes sortes d’autres affaires, pis on est un peu pris des fois là-dedans. La poésie, au contraire, c’est un genre qui est libre par essence. Tu peux écrire comme tu veux, tu peux placer les mots comme tu veux sur la page. Ça aussi, ça m’a inspirée à pas vouloir autre chose que faire ce que je veux, sans concession. Si je veux une structure, c’est moi qui vais la choisir. C’est ça qui est ça. Je suis peut-être un peu princesse, mais je suis de même. [Rires.]
En poésie, on transmet plein de messages. C’est juste qu’ils sont moins évidents, faut les chercher un peu plus, peut-être. La façon qu’a David de passer son message, moi je trouve ça super parce que c’est clair et très accessible. Quelqu’un qui se pose des questions va trouver ses réponses rapidement pis de façon efficace, dans son corps. Pis tout commence par là. Même moi, dans la poésie, c’est ça que je dis mais d’une autre façon : que tout commence par sortir dehors et faire battre son coeur. Je le dis de toutes les façons possibles, de toutes les façons cutes possibles, mais le message est toujours le même. Faut prendre soin de notre enveloppe pis de notre mental pis ça c’est de l’hygiène. Ce mot-là, « hygiène », me revient vraiment souvent en tête parce que tout part de là, de la volonté de sortir d’un genre d’inertie ou de dépression qui accable tellement de monde. C’est juste ça, et je pense que David et moi on a le même but là-dedans. Penses-tu ?
David : Sûrement, de deux manières différentes. C’est sûr que moi, mon but, mon vrai but, c’est moi-même d’être bien. Moi-même d’être heureux, moi-même de me coucher le soir pis de me dire : « Ah, j’ai passé une belle journée. » Pis ça tombe que j’ai ce sentiment-là si, dans ma journée, j’ai travaillé sur des affaires trippantes, si j’ai l’impression d’avoir eu un impact positif. C’est comme si c’était pas aussi altruiste que ça en a l’air. La plupart des projets que je fais sont bénévoles ; d’habitude, c’est pour aider les gens, mais ça reste que mon objectif à moi c’est de faire des trucs qui me font tripper, parce que c’est ça qui fait que je passe de belles journées. Pis ça adonne que ce qui me fait tripper, c’est bâtir de quoi dans lequel je me sens compétent, faire des choses qui marchent pis qui font tripper le monde autour de moi. Ça adonne que mon expertise est là-dedans. Je suis chanceux, parce que j’aurais pu tomber sur un paquet d’autres passions, sur un paquet d’autres champs d’intérêt ou aptitudes qui seraient complètement à l’opposé de la santé. Mais moi, si je veux pondre quelque chose de trippant, ça va être dans ce domaine-là. Demande-moi pas d’écrire quelque chose d’inspirant ! J’aimerais ben ça, pis des fois je me fais croire que je suis capable, mais je suis pas bon dans tout.
Marie-Andrée : Tout ce que tu dis là, c’est de l’altruisme. Tant mieux si ça te fait tripper ! L’affaire de vouloir être bien soi-même, on est tous et toutes comme ça, pis je pense que tout passe par là. C’est juste quand on est bien avec soi-même qu’on peut rayonner. Mettons, si tu faisais tout juste pour les autres, ça marcherait pas ton affaire. La première chose, c’est ça, c’est de se coucher avec un sentiment d’accomplissement, comme tu dis, pis de bien-être. Tu fais un paquet d’affaires qui sont par définition altruistes, pis, si toi tu le fais naturellement, c’est que ça fait partie de toi.
David : Ouais, c’est vrai. Je sais pas si t’avais d’autres sujets en tête, mais moi j’aimerais bien t’entendre par rapport à toute la question de – je sais pas trop comment aborder ça – l’impact que peut avoir le fait d’être membre des Premières Nations sur l’accès à une certaine notoriété. Est-ce que, si t’avais pas été membre des Premières Nations, ce que t’as là aurait été possible ? Est-ce que ça a été facilitant ? Parce que je crois sincèrement que, pour moi pis toi, ce qui est une barrière pour d’autres – faut pas se le cacher – a été une bénédiction totale. Mais, pour bien des gens, être membre des Premières Nations, c’est partir avec une prise. Y’a tellement de gens que je rencontre pis je me dis : « Ben tabarnack, si lui y’était né ailleurs, si y’était né dans une autre famille, y’aurait infiniment moins de problèmes et d’embûches à surmonter. » J’aimerais ça en savoir un peu plus sur la façon dont tu vois ça.
Marie-Andrée : Je pense que, pour moi, le fait d’être née à Mashteuiatsh pis d’avoir grandi là, ça a été comme une construction. J’ai l’impression que ça a longtemps été une contrainte qui m’empêchait de sortir de ma bulle, de certaines habitudes, de certaines gangs. C’était très fermé, mettons. Au début, jusqu’à tant que j’aie vingt ans, mon monde était très fermé. Il était riche aussi, riche de tellement d’humour pis d’un paquet d’affaires : la culture, l’école, la famille, les ami·es… C’est juste par après, en sortant de la communauté – pis c’est souvent ça, j’ai l’impression –, qu’on se rend compte que y’a quelque chose de différent. Parce qu’on s’en rend pas tellement compte quand on est dedans. Mais en sortant de là je me suis comme rendu compte que c’était différent ailleurs : l’humour, la façon d’aborder les choses, le rapport aux vivants, au réel, à n’importe quoi. Juste en m’en venant dans un petit village, à L’Anse-Saint-Jean, je voyais que mon rapport aux autres était différent. Les autres se donnaient des becs sur les joues… Y’avait toutes sortes d’affaires que je connaissais pas. C’était pas un gros choc culturel, mais y’avait un clash quand même. C’est ça que ça m’a fait. Mais, pour la carrière pis toutte, faut tenir compte de la mode que y’a en ce moment. Le monde s’intéresse aux Premières Nations, donc c’est sûr que j’ai l’impression qu’on arrive dans une vague qui est bénéfique, comme tu dis, pour nous. Ça adonne que les gens commencent à s’intéresser à nos histoires, pis c’est ça. Les gens cherchent beaucoup aussi…
David : Est-ce que y’a un moment, dernièrement, où on t’a ouvert une porte et où c’était clair que t’avais cette chance-là pas nécessairement parce que tu la méritais, mais parce que t’es autochtone ?
Marie-Andrée : Hmm, ben… À un moment, j’ai été sélectionnée pour un prix du Gouverneur général, pour mon premier recueil de poésie. Pis je me suis comme dit : « Ah, c’est sûr que j’ai été choisie parce qu’il faut qu’il y ait un quota de Premières Nations. » Je le sais parce qu’après ça, j’ai été jurée pour ce concours-là, pis c’était dit : « On vous suggère fortement de prendre du monde de plusieurs nations. » C’était pas obligé, mais tu sens une certaine pression pareil. C’est plate, parce que tu peux pas savoir si t’es vraiment sélectionné pour ton talent ou si c’est juste pour être politically correct. C’est ça qui est bizarre, l’espèce de double tranchant. C’est super nourrissant de venir des Premières Nations, tsé, pis d’avoir ce bagage-là. Mais des fois y’a comme une discrimination positive bizarre. Je sais pas trop quoi en penser.
Tsé, peu importe le titre qu’on me donne, moi je me vois juste comme quelqu’un qui écrit de la poésie. Je pense que, peu importe d’où tu viens, peu importe c’est quoi ta culture, ça va être riche anyway. Pour moi, c’est pas ça qu’y est important de mettre de l’avant. J’ai de la misère avec les catégories. Moi, j’aimerais ça être acceptée pour ce que je fais, point. Peu importe d’où je viens, peu importe qui je représente, ou quoi que ce soit. Ce que je fais, c’est-tu bon ou c’est-tu pas bon ? Y’en a qui sont choisis parce qu’ils viennent d’une communauté minoritaire, mais, si c’est pas bon, asti, c’est pas bon. C’est pas parce que tu viens d’une communauté minoritaire que c’est bon.
David : C’est drôle parce que, tsé, la poésie c’est tellement subjectif. Si tu lis un poème sans savoir il est de qui, pis si tu lis le même poème en le sachant, ça peut changer complètement ta perception de ce que tu viens de lire. Mais en course un temps, c’est un temps. Tu veux faire partie de l’équipe nationale ? Ben voici ce qu’il faut que tu fasses. La couleur de ta peau, ça change rien. C’est le summum de la non-subjectivité. Je regarde aller mes enfants, qui sont inscrits à un million de patentes, pis je peux voir comment la performance est définie dans tous les différents sports, pis là je me rends compte que, même à l’intérieur du sport, y’a beaucoup de subjectivité, sauf dans mon sport à moi. En course à pied, c’est ton temps, point. Le coach a beau pas t’aimer, t’as beau avoir mal couru, t’as beau t’être pas bien entraîné avant, ce qui compte, c’est la performance pis le temps de ta performance, pis y’a absolument aucune conspiration. Ça aurait fait aucune différence côté performance si je m’étais présenté pis que j’avais pas revendiqué mon identité. Par contre, moi je l’ai revendiquée parce que ça a toujours été un avantage marketing. C’est plate à dire, mais c’est ça ; pour moi, c’est ça. Je l’ai toujours vu, le fameux Indian ticket – je sais pas si vous connaissez le terme ? Dans le temps, c’était pas vraiment un ticket, mais là c’est en train d’en devenir un. Ça fait chier des fois, et je sais pas trop comment me placer là-dedans, parce que moi on m’en offre des trucs, on m’ouvre des portes, pis des fois je sais très bien que ça a aucun rapport.
Honnêtement, je pense que j’ai un impact sur ma communauté, ça, oui. Pis de nos jours, mon Dieu que ça paraîtrait mal si y’avait juste des Blancs dans certaines expositions sur les athlètes, si y’avait pas de membres des Premières Nations.
Marie-Andrée : Mais ça là, les offres qu’on te fait, j’ai plein d’affaires de même aussi. Le monde me demande de faire partie d’un CA, par exemple, pis je sais très bien que c’est juste pour avoir une certaine légitimité. Maintenant, j’ai un détecteur à bullshit, mais ceux qui nous offrent ça, ils sont super naïfs pis honnêtes là-dedans, ils voient même pas ce qu’ils sont en train de faire.
David : Alors comment tu décides si tu le fais ou si tu le fais pas ? J’ai un courriel, par exemple, en arrière de ma fenêtre Zoom, auquel je dois répondre après l’entretien. C’est pour un CA justement. Qu’est-ce qu’on fait ? On le fait-tu ? Ou on le fait pas ? Parce que là on revient au sujet des leaders : ça devient, à quelque part, l’occasion de tourner ça en quelque chose de positif.
Marie-Andrée : C’est qu’on perd nos énergies là-dedans, aussi, dans le sens que, mettons toi, David, t’as des projets, des choses que t’as envie de faire, mais là, si tout le monde te sollicite pis siphonne ton énergie, ben t’arrives pu à faire tes propres projets. Des fois, je me rends compte que je me suis embarquée dans plein d’affaires pas rapport. Pis là aujourd’hui je fais attention, j’accepte juste des projets quand je sens qu’y va y avoir une vraie portée positive. Mais au début je sautais sur tout ; j’en revenais juste pas qu’on s’intéresse autant à moi, qu’on veuille mon avis. Finalement, tous ces gens-là, ils cherchent de quoi : se légitimer, apaiser une sorte de culpabilité pis toutte. Dans mes projets, j’aborde ce genre de sujets là, qui portent une certaine lourdeur. Pis, dans les milieux universitaires, les Autochtones se font tellement solliciter. Des fois, ils sont obligés de démissionner parce qu’ils pensaient avoir telle charge de travail, mais qu’au final leurs collègues veulent leur approbation, pis tout le monde se sent mal, se déverse sur eux. Faque là t’as trois fois plus de job que ce que t’étais censé avoir. C’est un drôle de momentum, en ce moment. Est-ce que mes recueils seraient aussi intéressants si je venais pas des Premières Nations ? Je le sais pas. Mais y’a certainement une mode qui vient autour de ça. Pis depuis tellement longtemps aussi il y a un imaginaire public. Les gens ont une vision fantasmée des Premières Nations, qui vient du cinéma ou de je sais pas où. Tout le monde est don’ fier d’avoir une grand-mère autochtone peut-être quelque part, tsé. Mais après, ces gens-là, tu les mets dans une réserve aujourd’hui pis ils vont se dire : « Hein, y sont bizarres. » Y’a un clash : y’a l’image de l’Autochtone full sage pis toute la grosse affaire, pis l’image, mettons, du soûlon. C’est comme si, entre les deux, y’avait rien. Pis là les gens sont en train de se rendre compte qu’entre les deux, y’a des affaires, mais ça correspond pas à l’image qu’ils ont en tête. Des fois, c’est dur d’amalgamer tout ça, mais c’est en train de se construire, j’imagine.
David : Pis la fameuse image de l’Autochtone, on la reproduit nous aussi, des fois. Je suis une des seules personnes que je connais qui a passé du temps dans chacune des réserves du Québec. Encore une fois, je vais passer les six prochaines semaines à me promener d’une communauté à une autre. La vraie réserve, le vrai monde autochtone d’aujourd’hui, je le connais quand même. Pis y’a tellement un gros clash, comme tu dis, Marie-Andrée, non seulement avec ce qu’on voit à la télé, le stéréotype, mais même avec ce que les Autochtones en ville projettent et ce qu’on laisse publiquement transparaître de notre identité autochtone. J’ai même déjà senti un peu de bullying par rapport au fait d’être assez autochtone ou non. Pis c’est comme si, de nos jours, si tu vas pas au pow-wow pis que t’as pas déjà mis un chapeau de plumes, t’es pas un vrai Indien. Mais le vrai Indien, je sais ce que c’est. L’Indien d’aujourd’hui, il l’a pas facile. Pis sais-tu quoi ? Tous les Indian tickets qu’on met un peu partout, pis les excuses gouvernementales, pis l’abolition de la fête nationale, dans les réserves, ça se ressent pas.
Marie-Andrée : Ben non, pis on s’en sacre, de tout ça, dans les communautés. Tout ce discours-là arrive pas jusque-là. Il passe aux nouvelles, mais y’a aucune répercussion, tsé. C’est pas ça qui urge ; les priorités sont ailleurs. Tout ce qu’on entend là, c’est un discours d’universitaires, c’est un autre monde pis c’est un monde qui est fermé sur lui-même. Ce qui se passe dans la plupart des réserves, c’est loin de tout ça. L’autre fois, j’étais à Nutashkuan pis y’avait des tentes sur le site de l’événement qu’on faisait, pis là y’avait un gros drapeau du Canada. Parce que le gars qui avait installé le site, c’est un Blanc, mais tsé tout le monde des communautés venait pareil pis y s’en crissait du gros drapeau du Canada. Y’a un discours bien-pensant pis y’a ceux pour qui c’est le quotidien, pis c’est pas pantoute la même affaire. Les priorités sont pas là. Je sais pas trop comment le dire, mais, dans les réserves, le monde essaye vraiment juste de survivre au jour le jour, de se battre contre l’inertie pis de se retrouver pis de faire avec toutes les blessures du colonialisme. Y’essaye de se refaire une nouvelle identité sans être nomade, parce que pendant longtemps c’est le nomadisme qui a défini les Premières Nations. Mais là, quand t’es pu nomade, qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce qui te définit ? Y’a la langue, y’a des traces de la culture qui s’amenuisent de plus en plus. Pis, justement, certains ont tellement perdu leur culture qu’ils deviennent un cliché de leur propre culture pour que les autres confirment leur existence, leur identité. Où est-ce qu’on se situe là-dedans ? Plus je vieillis, plus j’ai confiance en moi, donc plus je suis capable de faire la part des choses pis d’être moi-même pis de pas vouloir jouer avec ça. C’est ça qui se passe, mais je sais pas trop quoi en penser.
David : Y’a quelques mots que tu viens de dire qui, d’après moi, définissent la source du problème. Depuis la mise en réserve, jusqu’à aujourd’hui pis pour encore trois, quatre, cinq générations, je pense que la question qui revient, c’est : qu’est-ce que tu fais ? À mon avis, une des raisons pour lesquelles on a des problèmes – et c’est une des choses que j’essaie de pallier –, c’est l’ennui. Quand les Indiens étaient nomades, c’est pas qu’y voulaient pas boire, c’est pas qu’y voulaient travailler fort. On s’en fout, en fait, de ce qu’ils voulaient : y’étaient occupés, y’avaient pas le choix. Quand j’allais avec ton père dans le bois, je passais des top journées ! Sais-tu pourquoi ? Parce que ton père bûchait pas son bois à l’avance. Moi, j’arrivais là pis je me disais : « Wou, à soir il va faire frette, on est en janvier. » Lui, y’avait pas pré-bûché le bois, faque qu’est-ce qu’on allait faire ? Finalement, je prenais ma hache pis je passais tout l’avant-midi, pis jusqu’au milieu de l’après-midi à peu près, à essayer de faire tomber un arbre pis à le ramener au camp, pis après ça il le coupait à la tronçonneuse. Mais, pendant ce temps-là, moi, si j’avais eu des problèmes de boisson, de n’importe quoi, ben j’en aurais pas eu, de problèmes, parce que j’avais de quoi à faire, j’avais une fonction. Pis les nomades, c’était ça : eux autres y’avaient besoin de rien d’autre dans leur vie, y’étaient occupés à chercher de la nourriture, à s’occuper de leur famille, à assurer leur sécurité, etc. Aujourd’hui, sur les communautés, y’a rien à faire. Rien à faire. Le jeune, tout ce qu’il veut, c’est se trouver des affaires à faire. Pis, si tout ce qu’il a à faire autour de lui, c’est jouer sur sa tablette dans son sous-sol, ben c’est ça qu’il va faire. C’est tout. Même affaire pour les adultes, parce que les communautés, c’est un genre de milieu où on déambule. Pis, à mon avis, une des grandes solutions, c’est qu’il va falloir donner autant aux jeunes qu’aux adultes des choses à faire. Ça passe entre autres par l’emploi, parce que, quand tu travailles dans ta journée, c’est beaucoup par ça que tu te définis, c’est ce qui t’aide à passer à travers ta journée. Quand tu décolles le matin pis que tu reviens le soir, t’es fatigué et il faut que tu te couches. C’est une journée de moins où tu te poses des questions. Pis c’est la même affaire pour le jeune : faut que tu y donnes des choses à faire.
Marie-Andrée : Ou ben tu passes le plus de temps possible dans le bois pis tu t’occupes. Depuis le temps que je pense à ça, j’ai jamais vu d’autres solutions. On reviendra pas comme avant à cent pour cent, mais, si tu passes beaucoup de temps là pis que justement t’as pas toutes les commodités, tu t’occupes. Le confort tue l’humain. On est arrivés à un si grand niveau de confort que là on est au top pis on se détruit du dedans. On n’est pas faits pour ça, tsé. On a un corps fait pour être capable de courir vingt kilomètres par jour ; on est faits pour ça, biologiquement. On a un super corps qui nous permet de faire tout plein d’affaires pis on l’utilise pas, alors qu’est-ce que ça fait ? On développe des maladies auto-immunes, on s’atrophie, on n’est pas en santé.
On dirait qu’il y a une hiérarchie entre aujourd’hui pis avant, comme si, là où on est maintenant, c’était le top de l’évolution, mais non. C’est la destruction pure. Ce serait de l’évolution si on était à notre meilleur, mais on a été à notre meilleur il y a cinq cents ans. Maintenant, c’est comme si ça descendait, donc retourner dans le bois, c’est pas une régression. Au contraire, c’est une révolution. Retourner dans le bois ou sortir du confort. Je dis ça pis j’habite dans une maison où tout se fait tout seul, tsé, mais je le sais très bien que c’est pas par là que passe la guérison. Je le sais que c’est pas par là. Pis j’aime ça lire dans le bois, moi, un coup que toutes mes affaires sont faites.
David : Dans le bois, on n’a pas besoin d’événements comme Ushket. On est en train d’essayer de compenser par la course, alors que tout ce dont on aurait besoin, c’est de marcher toute la journée.
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