Karine Awashish

Parler de leadership peut sembler facile, mais ce n’est pas si simple, car on doit prendre un certain recul, faire une pause et regarder autour de nous et en nous-même. Prendre le temps de revoir notre cheminement personnel et professionnel pour faire ressortir notre caractère de leader est un exercice que tous·tes et chacun·e devrait faire. Je suis convaincue que nous avons tous·tes un profil et des caractéristiques de leader à notre façon. Mais avant il faut s’interroger et mieux comprendre ce que signifie avoir du leadership ou comment être un leader pour soi. Le leadership est une notion, surtout en ce moment, qui est à la mode et que je trouve très souvent surutilisée. J’ai l’impression que l’idée d’être un leader ou d’avoir du leadership pour une femme en 2022, c’est la même qu’on utilisait pour décrire la femme accomplie au 19e siècle. Certaines choses ne changent pas. En ce sens, être un ou une leader, c’est avant tout être une personne accomplie personnellement, professionnellement et socialement. En gros, je suis d’accord pour dire qu’avoir du leadership, c’est d’abord avoir confiance en soi ; c’est aussi posséder l’assurance d’accomplir un travail qui a du sens pour la communauté ; et c’est surtout être une personne qui sait inspirer et/ou mobiliser les autres autour d’une action collective pour le bien commun. Le tout en prenant appui sur des valeurs d’humilité, de respect et de justice. Pour moi, un ou une leader doit avoir ces particularités ou tendre du moins à les posséder.

Si je reviens à moi et à mon parcours, je pense que le développement de qualités de leader m’a surtout été insufflé par ma soif d’aller toujours plus loin dans la vie. Et cela peut autant se manifester par des actions au quotidien très banales, comme prendre une marche loin de la maison. Aller plus loin, gravir des montagnes, découvrir des forêts, des villes ou explorer de nouvelles routes, c’est ça aussi se dépasser. Pour moi, le leadership passe avant tout par soi et ce que l’on contrôle, comme l’envie d’aller voir le monde autour de nous. Il ne faut pas sous-estimer ces petits gestes. Étant originaire de la communauté atikamekw d’Obedjiwan, j’ai parcouru beaucoup de chemins pour me rendre où je suis et ce sont maintenant d’autres sentiers qui s’ouvrent devant moi. Les possibilités qui me sont offertes et que j’ai saisies ne m’ont pas été proposées sur un plateau d’argent, je les ai acquises à force de travail. Et l’expérience me confirme que, dans la vie, la persévérance de croire en soi vaut la peine et porte ses fruits. Grâce à mon esprit nomade et à mon désir de découvertes, j’ai eu le privilège de parcourir plusieurs pays, dont la Suisse, le Brésil et la Tunisie. Par-delà mon village natal, j’ai aussi dès mon jeune âge appris à connaître une grande partie des régions et territoires autochtones du Québec. Lorsque je voyage, je passe beaucoup de temps à contempler, à imaginer et à réfléchir sur le monde qui m’entoure. Et j’apprécie énormément les rencontres humaines que je fais lors de mes aventures.

Nourri par mon intérêt et ma curiosité croissante pour le monde ainsi que par ma soif de savoir, mon leadership personnel s’est d’abord exprimé ainsi. Mais, s’il s’est développé davantage, c’est surtout parce que j’ai toujours été persuadée, depuis que je suis toute jeune, que l’éducation est une voie qui m’aiderait à enrichir mon bagage personnel et professionnel. J’ai toujours voulu aller plus loin, alors ce n’est pas un hasard si je me suis rendue jusqu’au doctorat. Je ne me considère pas nécessairement comme quelqu’un de « bollé » pour m’être rendue à ce stade. C’est simplement la route que j’ai construite qui m’a menée là. Par mon expérience et mon intérêt pour la coopération sociale, j’ai développé ma réflexion sur un modèle de développement socioéconomique et culturel qui pourrait avoir du sens pour nos communautés. Tout en étant très active au travail, j’ai toujours possédé cet enthousiasme pour la créativité et l’innovation ; c’est pourquoi le mouvement coopératif m’interpelle depuis plusieurs années. Le fait de mieux comprendre la construction de communautés coopératives, ancrées dans le travail collectif, la démocratie participative et l’économie solidaire, me motive à enrichir les connaissances et les pratiques pour le développement et l’autonomie socioéconomique des Premières Nations au Québec.

Depuis plus de dix ans déjà, j’ai développé mon savoir en matière d’entrepreneuriat collectif et d’économie sociale en contexte autochtone. Mes études de maîtrise dans ce domaine et mes connaissances m’ont permis d’envisager un modèle de développement socioéconomique différent qui rejoint des valeurs, une vision et une aspiration de mieux-être communes, telles que les aînés nous les ont enseignées. Convaincue de la portée positive du modèle d’organisation collective, j’ai développé mon esprit d’entrepreneure ainsi qu’un leadership assumé en partant de ce modèle. En oeuvrant au sein de plusieurs entreprises d’économie sociale et organisations autochtones qui ont à coeur le développement socioculturel et l’autonomie économique des Premières Nations, j’ai pu faire connaître davantage l’entrepreneuriat collectif auprès des communautés autochtones au Québec et ailleurs. En alliant mes connaissances, mon expérience et mes aspirations, j’ai cofondé Coop Nitaskinan, une coopérative de solidarité dont la mission est de contribuer au développement des communautés autochtones dans divers projets à caractère culturel, social et économique. La coop me permet d’agir sur le terrain et me donne la possibilité de créer et de mettre en oeuvre des initiatives qui génèrent des retombées concrètes. On aimerait que notre coop puisse inspirer d’autres entreprises collectives à se manifester dans tous les milieux, autant dans les communautés que dans les villes, ou même à l’international. La coop est un véhicule intéressant et qui n’a d’autres limites que celles que nous lui imposons ; elle est libre d’être ce que ses membres désirent qu’elle soit. N’est-ce pas une belle façon d’envisager une forme nouvelle d’épanouissement des individus et des groupes ?

Avant même d’entamer mon projet au doctorat, je songeais déjà à comprendre comment une coopérative peut devenir un véhicule d’affirmation et d’autodétermination de la société civile autochtone, à grande ou à petite échelle. J’ai cette ambition de voir comment l’expression identitaire et culturelle peut se déployer au travers de ce modèle collectif. Plus encore, j’entrevois mon parcours actuel comme une étape entre le développement et la diffusion des connaissances sur la coopération autochtone et l’émergence de coopérants autochtones engagés et éclairés. J’aspire à une carrière qui contribuera à développer l’éducation et la transmission intergénérationnelle de la coopération dans les communautés autochtones. Je crois que la recherche et l’enseignement sont une contribution essentielle au bien commun et à l’héritage collectif pour nos sociétés. Cet esprit d’entrepreneure, venant de mon désir d’aller plus loin, est très probablement la source de mon leadership. Cela ne fait pas si longtemps que je l’ai réalisé et je suis encore plus convaincue maintenant que devenir un leader, c’est d’abord être un leader pour soi-même et sa propre vie.

En tant que femme autochtone engagée, je suis bien sûr très sensible aux enjeux et aux possibilités émanant de l’environnement social et culturel des Premières Nations, particulièrement en ce qui a trait à la mise en valeur des cultures et de la jeunesse. Dans un sens, j’ai cette conviction que l’éducation est essentielle à l’amélioration des conditions de vie des Autochtones et c’est pourquoi j’ai eu cette volonté de poursuivre des études supérieures afin de me consacrer au déploiement des capacités et du potentiel des individus et des groupes. Parallèlement à mon parcours universitaire, j’ai été active dans diverses sphères d’activités et différentes occupations. Travailler auprès des jeunes (et moins jeunes) est pour moi très stimulant, car je crois à l’importance de transmettre ses savoirs et son expérience. Je me suis donc engagée à encourager, à ma façon, le désir d’aller loin dans la vie. C’est par le biais de projets dédiés à l’art et à la culture, entre autres, que j’ai pu renforcer ma motivation à travailler pour le développement socioéconomique et culturel autochtone en réalisant plusieurs initiatives mobilisatrices. J’entreprends toujours mes projets avec dynamisme, rigueur et détermination, et je sais que mon enthousiasme est contagieux. Au fil des années, j’ai su m’entourer de personnes merveilleuses qui, comme moi, aspirent à changer le monde. En atikamekw, culture se traduit par le terme pimatisiwin, c’est-à-dire « notre culture et mode de vie ». Cette vision du monde, qui prend racine dans nos valeurs, nos traditions et nos aspirations en lien avec notre territoire et son environnement, est un enseignement transmis par ma famille que je chéris énormément. L’interrelation avec le territoire demeure une grande source de savoir et m’inspire beaucoup. L’affirmation culturelle et identitaire est un élément fondamental à mes actions. Cette fierté que je porte, je souhaite l’insuffler à ma communauté et spécialement à mon petit garçon de cinq ans.

Afin de garder la force dans les divers parcours et projets que j’entreprends, je m’inspire grandement de la roue de médecine, particulièrement de cette vision circulaire du monde sous plusieurs dimensions. On la voit souvent représentant quatre aspects de l’humain : spirituel, émotionnel, intellectuel et physique. Je souhaite ainsi m’appuyer sur des valeurs de respect et d’équité, puis me laisser guider par ma motivation et mes passions et mettre à profit ma créativité, sans être détournée par mes craintes. Ma roue de médecine personnelle, exprimée par ces mots, me permettra d’être confiante dans mes démarches et de garder un équilibre tout au long de mon cheminement. En toute humilité, je crois que mes qualités de leadership deviennent pour moi une attribution précieuse qui se jumelle à mes aspirations et à la poursuite de mes engagements professionnels. La clé pour maintenir son leadership réside dans l’équilibre. Il faut prendre soin de soi avant de pouvoir prendre soin des autres. Il faut prendre soin de ses motivations avant de pouvoir motiver les autres. Et il faut surtout prendre son temps pour pouvoir transformer et changer le monde, qu’il soit autour de nous, dans notre famille, notre communauté, notre nation ou notre pays. Chaque pas franchi contribue à renforcer notre courage, notre compassion et notre pouvoir d’agir sur nous-même, pour les autres, et pour le mieux. Surtout ne jamais laisser personne nous dire ce que nous sommes ou pas, car la réponse est en nous-même seulement.