Sylvester André
Ah, ma jeunesse ! J’ai vécu une enfance pleine de beaux souvenirs. On jouait beaucoup dehors et, bien sûr, on a vécu la chasse et la pêche.
Il me reste quelques souvenirs des années 1970, quand on habitait dans la vieille réserve qui s’appelait Lac John, le premier village où les gens se sont sédentarisés, où les maisons étaient de petites cabanes. Plusieurs chasseurs venaient s’y installer, et deux nations y vivaient en communauté, les Naskapis et les « Montagnais », devenus plus tard les Innus. Après, le gouvernement a construit un autre village, qu’on a appelé Matimekush, treize kilomètres plus loin. Si je me souviens bien, c’est en 1972 que les gens ont commencé à déménager par là. C’était une nouvelle vie pour ces villageois : c’était la première fois qu’ils voyaient des toilettes, des lavabos, des robinets, et tout le reste. D’une certaine manière, ç’a participé à la perte de notre culture. Les gens ont aussi commencé à travailler dans les mines pour nourrir leurs enfants.
Aujourd’hui, il y a deux villages distincts. Depuis 1982, les deux nations vivent séparément, avec environ mille personnes de chaque côté. Moi, je vivais dans le village innu, mais je suis innu-naskapi. Les deux villages se sont toujours entraidés. Je visitais souvent ma parenté naskapie. J’adorais aller chez ma grand-mère, qui cuisinait de la viande sur feu de bois et, surtout, le pain qu’on appelle la bannique. Depuis la mort de mon père, je vais souvent à la chasse aux outardes avec mes oncles naskapis. J’y vais chaque année. On est plusieurs à partir dans le bois, et ça crée des moments inoubliables pour mes frères et mes soeurs. Mes proches naskapis sont heureux de notre présence et nous aussi. La vie des Naskapis tourne beaucoup autour de la chasse et de la pêche. Quand j’étais petit, je parlais naskapi, mais, depuis la construction du village, j’ai décidé de parler innu. Les mots sont les mêmes, c’est juste l’accent qui change. Ils sont fiers de leur histoire, les Naskapis. Ils ont même une journée pour la célébrer : le Naskapi Day, qui a lieu chaque 31 janvier.
J’ai beaucoup aimé ma jeunesse : je jouais tout le temps dehors, dans le bois avec mes parents. Mon père, un grand chasseur et un leader, m’a montré plein de choses. J’ai appris à installer les pièges pour les martres et ceux pour les lièvres. Je me rappelle même avoir tiré sur des perdrix avec un petit fusil, pour les manger. Pendant l’hiver, on marchait tout le temps, parce qu’il n’y avait pas de motoneige. Mon père était un habitué de la marche. Depuis qu’il était tout petit, il partait chasser et parcourait des kilomètres à pied. Je suis fier de lui, encore aujourd’hui. Il était mon héros, je ne l’oublierai jamais.
À l’époque, les Québécois nous appelaient, nous les Innus, des « Montagnais ». Le mot a disparu aujourd’hui et moi je suis fier de ce mot qui a été choisi par les gens des communautés : le mot « Innu » signifie « l’homme », ou « l’être humain ». D’une certaine manière, pour mieux comprendre le mot, on pourrait dire qu’un Innu, c’est quelqu’un qui n’aime pas la technologie, ni faire des barrages, ni couper le bois. Un Innu, ça respecte la nature et le gibier. Faire partie de ces gens-là est ma plus grande fierté. J’espère qu’un jour, on va écouter les Innus, leur parole et leur pensée. Je sais que nous sommes importants : nous voulons protéger la terre pour les prochaines générations.
Aujourd’hui encore, notre langue survit grâce à la musique. Plusieurs de nos jeunes artistes chantent en innu-aimun. Dans chaque maison, il y a une guitare. Dans chaque village, il y a des groupes de musique. Je sais que les jeunes pratiquent de plus en plus. Mon frère était musicien, il chantait bien. Moi aussi, j’ai appris la guitare pour chanter dans ma langue. C’est si agréable de voir les chanteurs faire des tounes en innu-aimun devant le public. C’est un rêve, pour les jeunes, je pense. Chaque nation doit protéger sa langue. On doit travailler ensemble pour devenir plus forts et protéger le territoire.
Moi, je rêve d’être un vrai Innu. Je ne veux pas perdre mon identité, ma culture, ma langue. Nous voulons la paix sur la terre. Nos ancêtres étaient les vrais chasseurs, les vrais chanteurs de teueikan (tambour traditionnel). Le tambour est un instrument très respecté. Saviez-vous qu’il faut rêver au tambour trois fois pour pouvoir en jouer ?
Ça me rappelle aussi la tente tremblante, qui servait à trouver du gibier. Seul un aîné pouvait y entrer…
J’aime notre histoire. J’aimerais devenir conférencier pour expliquer ma culture et en parler aux jeunes pour la préserver. Je vous le dis : soyez fiers de votre culture. Montrez aux plus jeunes la grandeur de notre nation.
Ekute !