Jason Brennan
Le désir de poursuivre des études en production cinéma et en télévision est arrivé relativement tôt dans ma vie. Autour de mes quinze ans j’avais déjà un intérêt pour ça. Cependant, je n’étais pas certain que ce serait possible pour moi d’atteindre mon but, et je n’avais pas non plus de modèle qui m’aurait permis d’y croire. J’ai commencé ma vie de jeune adulte, j’ai travaillé ici et là, des petites jobines, et c’est finalement à vingt-deux ans que j’ai décidé de retourner aux études. Je me suis inscrit en production télé au Collège algonquin, à Ottawa. Ça m’a pris un bout de temps avant de réaliser pleinement que c’était là-dedans que j’allais m’investir et que j’allais poursuivre ce rêve. Ce que je veux dire par là, c’est que ça arrive souvent, dans la vie, qu’on prenne ce genre de décision après avoir essayé plein d’autres choses avant. Puis, on se rend compte que notre vraie passion est ailleurs. Il faut qu’on devienne nos propres modèles.
C’est une des choses qui différencient les réalités autochtones et allochtones. Il faut dire que nous, les leaders ou les artistes autochtones, on a quand même une sorte de responsabilité quand on choisit d’aborder des thèmes qui sont très proches de nos cultures. Je pense qu’en définitive, moi, en tant qu’Autochtone, j’ai plus tendance à tenir compte de l’avis de ma famille, de ma communauté, des aîné·es. Ça fait une grosse différence. Ce que j’ai appris de ces gens-là, j’en tiens compte, c’est extrêmement important. Je pense qu’on doit le faire. En tant que leaders, on essaie également de faire avancer la cause, de faire avancer la culture, donc on va souvent entendre parler de ceux et celles qui partagent leur succès avec d’autres pour qu’il y ait des retombées concrètes dans la communauté, afin que l’expérience et le succès rejaillissent sur le plus de monde possible.
Moi, j’ai un père autochtone et une mère québécoise, je suis donc conscient de ne pas avoir connu les mêmes embûches que certains et certaines de mes collègues artistes. Je n’ai pas non plus des traits typiquement autochtones, ma peau n’est pas foncée, je n’ai pas les cheveux noirs. Le racisme frontal de la première rencontre, de la première impression, je n’ai jamais eu à le vivre. En revanche, j’ai rencontré souvent des obstacles à la création de contenu autochtone liés au fait que les instances décisionnelles, les bailleurs de fonds, ne croient pas qu’il y ait un marché pour notre art. Ce qui est quand même ironique, parce qu’il suffit de regarder ce qui s’est passé dans les dernières années : on voit bien qu’il y a eu énormément d’histoires à succès. Au cinéma, on a vu différents projets aller chercher le public et le toucher. Affronter les obstacles, ça implique de se retrousser les manches. Il s’agit de savoir comment on peut valoriser cette richesse particulière à notre art et la rendre disponible au public. Trouver comment la placer dans une certaine lumière, pour que les gens soient en mesure d’en profiter et de la consommer. Je pense entre autres qu’il faut viser plus loin que la simple mise en valeur de la culture à l’intérieur du Canada, mais aussi s’arranger pour qu’elle vive et qu’elle vibre à l’international. Chez Nish Média, on a compris très rapidement qu’il y avait un intérêt pour ça dans le monde entier. Au bout du compte, c’est la persistance qui permet d’y arriver. Ne pas se décourager, bûcher fort. Lorsqu’on travaille en art autochtone, on le sait, il faut toujours mettre un petit effort de plus. L’artiste qui évolue dans le milieu allochtone, dans un marché déjà établi, ne rencontrera pas nécessairement les mêmes problèmes. Il faut aussi prendre en considération l’importance de s’intéresser aux pièces de théâtre, aux films, aux livres que d’autres artistes autochtones ont créés avant nous. Il faut tenter de comprendre ce qui fonctionne dans ces oeuvres. Par ailleurs, on le sait, dans nos communautés, on est du monde qui aime partager, alors il ne faut pas avoir peur d’aller poser des questions, d’aller explorer, d’aller à la rencontre d’autres artistes.
D’un autre côté, tout ça, pour moi, ça vient naturellement. Être Autochtone, c’est mon vécu. Mon père a grandi dans une communauté. Bien des membres de ma famille y vivent encore, ça fait partie de qui je suis. Que ce soit dans ma carrière de producteur ou dans ma carrière de réalisateur, je raconte des histoires que je connais. Je ne prétendrais pas faire le récit d’une culture ou d’un aspect de la culture que je ne connais pas ou avec laquelle je n’ai aucun lien. Ma démarche artistique s’inspire de faits et d’expériences vécus. Parfois, c’est tiré de récits que j’ai entendus quand j’étais jeune. Comme tous les artistes, je cherche à m’inspirer de ce que je connais et aussi de ce qui me connaît. Si on n’est pas lié affectivement à ce qu’on raconte, ça se voit, ça se ressent. L’idée, c’est de rester aux aguets. Il y a des thèmes, des idées, que j’ai toujours eu envie d’explorer. Il y a des choses que j’ai envie de dire et il s’agit de trouver le bon support pour le faire afin de rejoindre le plus grand nombre de personnes avec ces histoires. Lorsque je suis en production, ça peut aussi vouloir dire aider un jeune scénariste ou une réalisatrice à plonger plus profondément dans son vécu. Il faut évidemment que les histoires qu’on cherche à raconter me touchent, pour que je puisse m’investir à fond et les défendre jusqu’au bout. L’attachement personnel à chacun des projets est donc primordial, à mon avis.
Je pense que ce qui nous attend dans les prochaines années est très prometteur. Il y a de plus en plus d’artistes et de créateur·trices autochtones qui explorent des avenues très proches de la culture. L’important, c’est de rester à l’affût de ce qui se fait de meilleur, tout en étant conscient qu’il faut se renouveler sans cesse. Plusieurs personnes travaillent très bien. On est maintenant rendus au point où il faut carrément sortir du lot avec des propositions innovantes et originales. Il faut continuer à faire ce qui nous allume tout en gardant en tête l’importance de se démarquer.
En tant que leaders autochtones, on doit aussi faire attention de ne pas se perdre dans tout ça, de bien se souvenir de ce qui nous a poussés à se lancer, à devenir artistes. Il ne faut jamais oublier qui on est, d’où on vient, en valorisant les liens qui nous unissent à nos communautés.
Choisir une langue recommencera la lecture du début